Les aventures de China Iron
OGRE N°39 – Gabriela Cabezón Cámara
Les aventures de China Iron
Traduit par Guillaume Contré
jeudi 08 avril 2021
Taille : 140/185 – 256p. – 20€
ISBN : 978-2-37756-093-6
Finaliste de l'International Booker Prize 2020
Finaliste du Prix Médicis Étranger 2021
Après Pleines de Grâce, voici Les Aventures de China Iron, un texte rare, à la fois drôle, subversif, politique, littéraire et universel de l'autrice argentine Gabriela Cabezón Cámara !
Les Aventures de China Iron, c'est la relecture d'un classique de la littérature gaucho, Martín Fierro, le poème épique de José Hernandez.
C'est une épopée radieuse et lumineuse, où China Iron, la femme de Martín Fierro, et Liz, partent à la conquête d'une nouvelle manière de vivre ensemble, à rebours des mythes fondateurs de nos sociétés.
C'est un roman bouleversant sur la libération d'une femme, une merveilleuse histoire d'amour et d'aventures, un western queer et féministe.
C'est enfin un appel à fonder un monde libre où les créatures s'embrasseraient avec désir et jouiraient du même amour pour les rivières, les oiseaux et les arbres. Et elles ne se sentiraient plus jamais seules.Lire plus
« Une épopée miniature passionnante et mystique» The Guardian
« Terriblement audacieux ! » The Financial Times
« Les Aventures de China Iron oblige les lecteurs à examiner un œil critique non seulement les mythes que nous célébrons, mais aussi la façon dont ils s'infiltrent dans notre conception contemporaine de la nation. » LAReview of Books
« Une merveilleuse expérience de lecture, remplie de lumière, de joie, de découverte, d'amitié et d'amour. » The Massachusetts Review
« Un des meilleurs livres sur le féminisme, la sororité et le queer. » Página / 12
« L'écriture queer dans ce qu'elle a de plus exaltante. » Supplément littéraire du Times
« Une révélation pour la littérature contemporaine. » Andrés Neuman
LA PRESSE EN PARLE
« Les aventures de China Iron : Gabriela Cabezón Cámara », par Youness Bousenna, Télérama, 1er juillet 2021 : L'écrivain engagée dans les causes féministes et LGBT remue un classique de la littérature argentine : Martin Fierro (1872), poème épique de José Hernandez racontant la vie d'un gaucho de la pampa. Se saisissant d'un personnage secondaire, China Iron, l'autrice de 53 ans imagine cette femme abandonnée par le héros se lancer à la conquête de la liberté avec une Anglaise, Liz. Sans aigreur pour son modèle et en évitant l'écueil d'une littérature militante, Gabriela Cabezon Camara renouvelle la littérature des grands espaces en lui offrant de nouvelles possibilités.Lire plus
« 'Les Aventures de China Iron', de Gabriela Cabezon Camara : femmes libres de la pampa », par Ariane Singer, Le Monde, 17 juillet 2021 : Un profond roman de formation dans l’Argentine sauvage du XIXe siècle. « Le vrai gaucho est une femme », par Alain Nicolas, l'Humanité, 10 juin 2021 : Militante féministe et LGBT, Gabriela ne produit pas un essai critique, mais un contre-roman au féminin qui retourne allègrement les codes du poème de José Hernandez, tout en gardant les structures des principaux épisodes. Il n'est pas nécessaire de les connaître, cependant, pour vibrer aux aventures de China, contées avec un sens du récit digne des meilleurs westerns et une ironie ravageuse par une autrice inspirée, qui a figuré parmi les finalistes du prestigieux Booker Prize. « [Le livre de la semaine] Les Aventures de China Iron, de Gabriela Cabezón Cámara », par Anne-Lise Remacle, Focus Vif, 10 juin 2021 : Née « fillette crasseuse aux pieds nus », sans éducation, sans amour, China (une dénomination qu'on donne à toutes les Indiennes) était poussière parmi la poussière. À peine adolescente, elle a été cédée en gain de jeu à Martín Fierro. Soulagée lorsque celui qu'elle surnomme « le gaucho chanteur », décrit comme brutal, devient conscrit, la voilà désormais maîtresse de son destin. Accompagnée de son cabot Estreya, laissant ses enfants auprès d'un couple de vieux paysans, elle accepte de monter à bord d'une charrette pour aider Elisabeth, une Anglaise rousse qui doit retrouver son mari Oscar et l'estancia qui leur appartient. « L'épouse du poète » par Bernard Quiriny, Lire Magazine Littéraire, mai 2021 : Les lecteurs qui connaissent Martin Fierro seront avantagés pour percevoir les références du roman, mais on peut lire Les Aventures de China Iron simplement comme un western épique au féminin, un Thelma et Louise dans la pampa, rempli de tableaux panthéistes de la faune et de la flore, porté par la langue inventive et tonique de l'auteure. « Gabriela Cabezón Cámara : Inventer d’autres mondes possibles », entretien avec Gabriela Cabezón Cámara par Jean-Philippe Cazier, Diacritik, 10 mai 2021 : « Que serait une écriture qui ne tiendrait pas compte de toute la dimension communautaire qu’il y a dans la langue – c’est-à-dire, en fait, de tout ce qu’il y a dans la langue –, qui voudrait abandonner toute la tradition, qui voudrait ne pas tenir compte des voix des autres ? Une telle écriture n’existe pas. Toute écriture est une écriture de la communauté. Et de fait, lorsque l’on écrit, l’on n’est pas tout à fait soi-même. C’est pour ça que les livres sont au final plus intéressants que leurs auteurs et qu’ils rendent possibles des lectures multiples et plus riches. Mais si on voulait parler d’une écriture de la communauté qui s’assume en tant que telle, on pourrait dire que toute écriture qui met en évidence ses sources multiples est une telle écriture. « La relecture audacieuse : les aventures d’une gaucho », par S.L., Biba, avril 2021 : L’autrice relève un pari gonflé : donner la voix à China Iron, épouse abandonnée du gaucho Martín Fierro – héros de la littérature argentine depuis le XIXème siècle. Non seulement elle y parvient avec un humour ravageur mais, en même temps que le récit d’une émancipation féminine et féministe, elle nous offre un hymne somptueux à la nature et ses éléments. « Les Aventures de China Iron Gabriela Cabezon Camara », La viduité, 03 mai 2021 : Inventer un Territoire Intérieur – sensations et couleurs – où retrouver nos identités flottantes, où langue et mythes enfin se confondent. Dans une langue lumineuse, pleine de cette joie d’une gravité dépassée, Gabriela Cabezón Cámara signe une réécriture heureuse, féminine et racisée, de Martin Fierro. C’est surtout une pampa nouvelle – espace d’écriture et d’invention- qui happe le lecteur dans ce beau roman qu’est Les aventures de China Iron. « Les Aventures de China Iron – Gabriela Cabezon Camara », par Aline Sirba, Avoir à lire, 6 mai 2021 : Voici un roman original, un western gaucho à la sauce féministe. La femme du gaucho légendaire argentin Martin Fierro est l'héroïne de ce livre : abandonnée dans la version originale, elle vit ici sa propre vie, une traversée émancipatrice de la pampa en chariot en compagnie d'une Anglaise. Une lecture absolument jouissive ! « Les aventures de China Iron, western queer et féministe », Friction, juin 2021 : En subvertissant ce récit gauchesque, l’écrivaine interroge la place et la signification des mythes dans l’histoire nationale et propose une nouvelle manière de vivre ensemble. C’est jouissif et ça ouvre un beau champ des possibles dans la pampa. Le peuple de China et Liz est nomade, il voyage en s’évaporant par les fleuves. Une fois terminé, c’est ainsi que le livre continue à accompagner : comme une espèce de fumée légère qui s’estompe tout doucement. « Un grand roman poétique et humaniste », par Alain Marciano, Benzine, 10 avril 2021 : Fresque gauchesque moderne, Les Aventures de China Iron de Gabriela Cabezón Cámara est un roman fort et puissant, une féérie poétique, un fleuve qui vous emporte, une défense de l’humanité et de la liberté, du refus de la soumission aux règles imposées par d’autres. « La femme du gaucho », par Melina Balcázar, En attendant Nadeau, 30 juillet 2021 : Une des œuvres les plus singulières de la littérature latino-américaine actuelle. Entre mémoire et utopie, dans un style qui efface joyeusement les frontières séparant culture savante et culture populaire, Gabriela Cabezón Cámara interroge l’histoire et l’identité de son pays. «
LES LIBRAIRES AUSSI
Librairie Passages (Lyon) : Esplendida ! Une odyssée féministe dans la pampa, épique, utopique, organique… et orgasmique !
Librairie L'Impromptu (Paris) : On n’en finit pas de se prendre des claques à chaque parution des Editions de l'Ogre ! Nous avions été absorbés par Gabriela Cabezon Camara lors de la parution de Pleines de grâce et nous sommes toujours autant sous le charme de cette écriture forte, saisissante qui se donne à lire et à relire dans Les Aventures de China Iron !!!Lire plus
La petite librairie (Sommières) : Même quand on ne connaît rien à la littérature argentine comme moi, quand on ne sait pas qui est José Hernandez, qu’on n’a pas lu son poème épique intitulé Martin Fierro qui est considéré comme le grand classique de la littérature gaucho, on apprécie grandement la lecture des Aventures de China Iron de Gabriela Cabezon Camara. Le dépaysement est garanti : on traverse la Pampa argentine en compagnie de Josefina (la China du titre) et de son chien Estreya à bord de la charrette de Liz. C’est la China qui raconte, une orpheline, violentée, deux fois mère à 14 ans à peine, mariée à Martin Fierro, qui fait une rencontre qui va bouleverser sa vie, celle de la Rousse, Elizabeth, une Anglaise à la recherche de son époux qui va lui tendre la main, l’aider à devenir libre, l’instruire, en faire une femme épanouie. C’est une histoire lumineuse, folle, une aventure un peu comme un western : on y croise les fameux gauchos qui mènent les troupeaux de vaches sauvages, de chevaux, les chiens, les chimangos qui planent… Et au fur et à mesure qu’on avance dans le roman, au fur et à mesure que l’amour grandit et que l’aventure devient plus folle encore, on se rend compte qu’on a été bercé par le mélange de mots anglais, espagnols et guarani et on pénètre, dans la troisième partie du roman dans un monde unique, libre, où les repères ont été effacés. On est comme enseveli par cette nature omniprésente qui éveille tous les sens, on est fasciné par cette expérience humaine dont le seul but est la liberté et l’amour. Bravo ! Librairie Vent du Soleil (Auray) : Une épopée lumineuse, délicieuse ! China Iron, jeune femme argentine, au destin trop tracé près de son gaucho de mari, décide de PARTIR. Elle confie ses enfants, et suit Liz, une anglaise qui rejoint son pays. Commence la traversée de la pampa, et surgissent pour China, rebaptisée Joséphine, les lumières et délices d'une nouvelle vie. Une écriture flamboyante, empreinte d'expressions volées à l'espagnol ou à l'anglais ; l'explosion dans la vie de China. Librairie La rue en pente (Bayonne) : La pampa argentine recèle de nombreux secrets. China Iron et l'anglaise qui l'a recueillie dans son chariot ne sont pas en reste et mènent avec détermination la traversée du pays jusqu'à une concession promise par le gouvernement colon. Mais des étapes, qu'elles soient préméditées ou non seront la source de nombreuses péripéties, nous entraînant dans une quête toujours plus poussées d'un havre de paix aux confins du monde « civilisé ». Alternant récit d'aventure, burlesque, érotisme et ethnologie des peuples autochtones, ce roman démontre avant tout l' émancipation concrète des femmes du 19ème. Librairie Le Monte-en-l'air (Paris) : Une Odyssée initiatique et lumineuse, un western émancipateur et généreux dans les paysages grandioses de la pampa argentine, une ode à la joie, à l'amour, à l'amitié et à la liberté, le roman argentin de tous les espoirs, une lecture jouissive ❤ Gabriela Calezón Cámara est une véritable conteuse libre et généreuse, avec sa langue absolument flamboyante (merci Guillaume Contré pour la traduction) et ses personnages épiques et tellement attachants, elle parvient à charrier toute la beauté, la violence, l'amour et les possibles du monde. Elle donne voix aux minorités et « dessine de nouveaux horizons désirables (…) faits d'hybridation des identités et de ruptures avec toute forme d'exploitation et de domination. Librairie Café Fracas (Lorient) : Lumineux coup de cœur ! Ce n'est pas un adjectif que l'on utilise souvent pour qualifier nos lectures, il est cependant de rigueur concernant l'autrice argentine Gabriela Cabezón Cámara. En 2020 avait été publié chez Les Editions de l'Ogre son premier roman Pleines de Grâce, immense claque queer autant d'un point de vue stylistique que narratif. On retrouve avec son second roman, Les Aventures de China Iron, tout ce qui nous avait enchanté il n'y a encore pas si longtemps : un imaginaire queer d'une extrême douceur tout en étant rempli des convictions féministes portées par la femme derrière la plume, ainsi qu'une langue vivante, agile et splendide, retranscrite merveilleusement par le traducteur Guillaume Contré. Une lecture essentielle pour continuer de décloisonner ses imaginaires et découvrir comment, par la fiction – ici on donne dans un récit aux apparences de Western –, on peut tisser avec poésie des liens tendres et résistants avec une utopie sociale. Tout simplement magnifique. A lire et faire lire, partout, tout le temps. Librairie Decitre (Grenoble) : Bienvenue dans un roadtrip fougueux serti dans un écrin de pages de nature plus belles les unes que les autres, meublé de caractères trempés dans le volcan. Quel livre, mes amis, quel livre… Bang bang ! Librairie Le pied à terre (Paris) : Et si on ne travaillait qu’un mois par saison selon les nécessités et les désirs ? Et si notre environnement nous dictait nos comportements ? Et si de famille il n’y avait que des groupes, partageant l’éducation des enfants ? Et si de genre, il n’y avait plus ? Et si on lisait un western queer d’émancipation argentin qui nous fait traverser la pampa et se fondre dans ses couleurs, nous soulever avec la poussière, sentir le désert vibrer sous le poids des troupeaux approchant, frémir et gémir sous le fer de l’armée, goûter aux voluptés des libres… ? Gabriela Cabezon Camara opère un grand retournement du récit des origines : elle revisite les aventures fameuses du gaucho Martin Fierro, poème épique et classique de la littérature argentine, en nous offrant d’épouser le destin de sa femme, la mouvante et libre CHINA JOSEPHINE STAR IRON, Et c’est bigrement bien… Librairie Calligrame (Cahors) : Un vrai coup de cœur ! Roman jouissif, magnifiques portraits de femmes, écriture poétique ! Librairie du Tramway (Lyon) : Pleines de grâce m'avait subjuguée de par son propos libérée, politiquement engagé, queer avec au centre, toujours, l'amour. Les aventures de China Iron nous livre un récit déjanté, joyeux, plein d'amour, avec une réflexion sur nos mythes, sur nos fondements de société. Une vraie pépite. Gabriela Cabezón Cámara est sans hésiter une grande autrice ! Librairie La Virevolte (Lyon) : Une indienne sans le sou embarque dans la charrette d’une anglaise fière et insoumise, à travers les espaces immenses de la pampa. Mené à un train d’enfer et d’un humour décapant, China Iron nous emmène aux confins du monde, où le progrès et la civilisation heurtent nos pulsions grandioses et généreuses. Entre incandescence sensorielle et initiation féminine à la liberté, toute l’étoffe d’un grand roman sud-américain porté par une écriture sûre d’elle-même.
EXTRAIT
Première partie / Le désert
C’était l’éclat
C’était l’éclat. Le chiot sautillait, lumineux, parmi les pattes poussiéreuses et usées des rares habitants qui traînaient encore là-bas : la misère encourage la fissure, l’élagage ; elle égratigne lentement, à l’air libre, la peau de ceux qu’elle a fait naître ; elle en fait du cuir sec, la craquelle, impose une morphologie à ses créatures. Ce n’était pas encore le cas du chiot, il irradiait la joie d’être en vie, d’une lumière n’ayant pas encore souffert la triste opacité d’une pauvreté qui, j’en suis convaincue, était davantage un manque d’idées que de quoi que ce soit d’autre. Lire plus
On n’avait pas faim, mais tout était gris et poussiéreux, tout était si trouble qu’en voyant le chiot j’ai immédiatement su ce que je souhaitais pour moi : quelque chose de radieux. Ce n’était pas la première fois que j’en voyais un, j’avais d’ailleurs mis au monde mes propres petites créatures, et on ne peut pas vraiment dire que la plaine ne brille jamais. Elle resplendissait avec l’eau, revivait bien qu’elle se noyait, tout en elle cessait d’être plat, elle se cambrait de grains, de campements, d’Indiens culs par-dessus têtes, de captives déchaînées et de chevaux qui nageaient avec leurs gauchos sur le dos, tandis que tout près les dorados sautaient, rapides comme l’éclair, avant de disparaître dans les profondeurs, vers le cœur du lit en crue. Et dans chaque fragment de ce fleuve qui grignotait les rives se reflétait un morceau de ciel ; on avait du mal à croire à un tel spectacle, à cette façon qu’avait le monde tout entier d’être entraîné dans un vertige boueux qui chutait lentement et tourbillonnait sur des centaines de lieues en direction de la mer.
C’était d’abord la lutte des hommes, chiens, chevaux et veaux, fuyant ce qui asphyxie, ce qui engloutit, la force de l’eau qui tue. Quelques heures plus tard, la guerre était finie, elle était longue et large, cette meute ; il était aussi sauvage que le fleuve lui-même, ce bétail déjà perdu, entraîné plutôt que guidé, les moutons emportés à saute-mouton et tout le reste ; les pattes en l’air, devant, dessous, derrière, comme des toupies sur un axe horizontal ; ils avançaient en rangs rapides et serrés, entraient vivants et ressortaient en kilogrammes de viande pourrie. C’était un torrent de vaches en rapide chute horizontale : ainsi se précipitent les fleuves dans mon pays, à une vitesse qui est aussi un approfondissement, et me voilà revenue à la poussière du début, celle qui opacifiait tout, et à l’éclat du chiot que j’ai vu comme si je n’avais jamais vu un éclat et comme si je n’avais jamais vu des vaches nager, ni leurs cornes étincelantes, ni toute la plaine éclatante de lumière comme une pierre humide au soleil de midi.
J’ai vu le chien et depuis je n’ai fait que chercher cet éclat pour moi-même. Pour commencer, j’ai gardé le chiot. Je l’ai appelé Estreya et c’est toujours son nom alors que j’ai changé le mien. Maintenant, je m’appelle China Josephine Star Iron et Tararira. De cette époque je ne conserve – et traduis – que ce Fierro qui ne m’appartenait même pas et ce Star que j’avais choisi en choisissant Estreya. Un nom, ce qu’on appelle un nom, je n’en portais pas : je suis née orpheline, comme si c’était possible, comme si j’avais été mise au monde par les champs de petites fleurs violettes qui adoucissaient la férocité de cette pampa. C’est ce que je pensais lorsque j’entendais ce « comme si les mauvaises herbes t’avaient pondue » que disait celle qui m’a élevée, une Noire qui s’est ensuite retrouvée veuve à cause du couteau aiguisé de Fierro, ma brute de mari, qui ne devait pas voir grand-chose ce jour-là parce qu’il était ivre, et avait tué le type simplement parce qu’il était noir ou parce qu’il pouvait le faire. Ou peut-être – et j’aime penser ça de lui, malgré ce qu’il était – l’avait-il tué pour endeuiller la Noire qui m’avait maltraitée pendant une bonne partie de mon enfance comme si j’avais été sa négresse.
Sa négresse, je l’ai été : la négresse d’une Noire une partie de mon enfance et ensuite, ce qui est vite arrivé, j’ai été offerte au gaucho chanteur par les liens sacrés du mariage. Je crois que le Noir m’a perdu pendant une partie de truco imbibée de gnole dans le bouge qu’ils qualifiaient de pulpería, et le chanteur me voulait tout de suite, et ayant vu la petite fille que j’étais, il a voulu compter sur la permission divine, un sacrement qui lui permettrait de me sauter dessus avec la bénédiction de Dieu. Fierro s’est allongé sur moi et avant mes quatorze ans je lui avais déjà donné deux fils. Quand il a été emmené pour la conscription – ils ont embarqué presque tous les hommes de ce hameau misérable qui n’avait même pas d’église –, je me suis retrouvée aussi seule que je devais l’être au jour de ma naissance ; une solitude animale, car il n’y a qu’entre bêtes qu’on peut réduire certaines distances dans la pampa : un bébé blond ne tombait pas comme ça entre les mains d’une Noire.
Quand ils ont emmené cette brute de Fierro avec tous les autres, ils ont également emmené le gringo qui venait, comme l’a chanté ensuite ce petit malin de Fierro, de « l’engueul'terre », et au village est restée une rouquine, Elizabeth, dont je n’allais pas tarder à connaître le nom pour toujours lorsqu’on a tenté de récupérer son mari. Pour elle, ce n’était pas pareil que pour moi. Jamais je n’ai envisagé de partir sur les traces de Fierro, et encore moins en trimballant ses deux fils. Je me suis sentie libre, j’ai senti mes attaches céder et j’ai confié les deux petits au couple de vieux péons qui était resté à l’estancia. J’ai menti en leur disant que je partais à sa rescousse. Que le père des deux petits revienne ou pas, je m’en fichais, alors : j’avais dans les quatorze ans et j’avais eu la délicatesse de les confier à de bons petits vieux qui les appelaient par leurs prénoms, bien davantage que tout ce que moi j’avais pu recevoir.
Le manque d’idées me tenait ligotée, l’ignorance. J’ignorais que je pouvais aller librement, je ne l’ai pas su avant d’être libre. On m’a respectée comme on respecte une veuve, comme si Fierro était mort dans un geste héroïque, même le contremaître m’a présenté ses condoléances pendant ces jours qui ont été les derniers de ma vie d’Indienne, de « china », des jours que j’ai passés à simuler une douleur qui était un tel bonheur que je courais des lieues entières, du village à la rive du fleuve marron ; je me déshabillais et hurlais de joie en pataugeant dans la boue avec Estreya. J’aurais dû m’en douter, mais ce n’est que bien plus tard que j’ai su que la liste des gauchos emmenés pour la conscription avait été établie par le contremaître et il l’avait envoyée à l’estanciero qui l’avait envoyée au juge. Mon couard de mari, un charlatan de première, s’est bien gardé de chanter quelque chose à ce sujet.
Moi, si j’avais su, je leur aurais envoyé mes remerciements. Je n’en ai pas eu le temps. À cause de la couleur, tout simplement, parce que du blanc je n’en avais pas vu souvent et que j’espérais qu’elle était une parente, je suis montée dans la charrette d’Elizabeth. Elle aussi a dû sentir quelque chose de semblable, car elle m’a laissée m’approcher, moi qui avais moins de manières qu’une mule, moins de manières que le chiot qui m’accompagnait. Elle m’a regardée avec méfiance, m’a tendu une tasse qui contenait un liquide chaud et m’a dit « tea » en supposant avec raison que je ne connaissais pas le mot. « Tea », m’a-t-elle dit, et ce qui, en espagnol, paraissait une invitation – « a ti », « para ti » – était en anglais une cérémonie quotidienne qui m’a donné mon premier mot dans cette langue qui avait peut-être été ma langue maternelle et qui est ce que je bois aujourd’hui, tandis que le monde semble menacé par la noirceur et la violence, par le bruit furieux de ce qui n’est qu’un orage parmi tant d’orages qui agitent ce fleuve.
La charrette
Difficile de savoir si l’on se souvient de ce qu’on a vécu ou du récit qu’on a fait, refait et poli comme une gemme au fil des années, je veux dire ce qui resplendit mais est aussi mort qu’une pierre morte. S’il n’y avait pas les rêves, ces cauchemars dans lesquels je suis de nouveau une fillette crasseuse aux pieds nus, n’ayant pour toute possession que deux chiffons et un petit chien beau comme un ciel, s’il n’y avait pas le coup que je sens ici, dans la poitrine, à cause de ce qui me noue la gorge les rares fois où je me rends en ville et que je vois un de ces enfants maigres, mal peignés et presque absents ; bref, s’il n’y avait pas les rêves et les frissons de ce corps qui est le mien, je serais incapable de savoir si ce que je vous raconte est vrai.
Qui sait quelle intempérie avait marqué Elizabeth. Peut-être la solitude. Deux missions l’attendaient : sauver le gringo et prendre en charge l’estancia qu’il devait administrer. Qu’on la traduise, ça lui faciliterait la vie, avoir une interprète dans la charrette. Il y avait un peu de ça, mais aussi quelque chose de plus. Je me souviens de son regard, ce jour-là : j’ai vu la lumière à travers ces yeux, elle m’a ouvert la porte du monde. Elle avait les rênes dans la main, elle partait sans trop savoir où, dans cette charrette qui contenait lit, draps, tasses, théière, couverts, jupons et tant de choses que je ne connaissais pas. Je me suis dressée et l’ai regardée d’en bas avec une confiance identique à celle avec laquelle Estreya me regardait de temps en temps lorsqu’on marchait ensemble le long d’un champ ou de plusieurs champs dans cette campagne ; comment savoir sur une plaine aussi égale quand user du pluriel et quand du singulier, une question qui finirait par être tranchée un peu plus tard : on s’est mis à compter à l’arrivée des clôtures et des patrons. Mais à cette époque-là, c’était différent, l’estancia du patron était tout un univers sans patron, on marchait dans la campagne et parfois on se regardait, mon petit chien et moi ; il y avait en lui cette confiance des animaux et Estreya trouvait en moi une certitude, un foyer, quelque chose lui confirmant que sa vie ne serait pas abandonnée aux éléments. J’ai regardé Liz comme ça, comme un chiot, avec la folle certitude que si elle me retournait un regard affirmatif, il n’y aurait plus rien à craindre. Il y a eu un oui chez cette femme aux cheveux roux, cette femme si transparente qu’on voyait son sang circuler dans ses veines quand quelque chose la réjouissait ou la mettait en colère. Ensuite, je verrais son sang congelé par la peur, bouillonnant de désir ou lui faisant bouillir le visage de haine.
Je suis montée avec Estreya, et elle nous a fait une place sur le siège du cocher. L’aube se levait, la clarté filtrait à travers les nuages, il bruinait, et lorsque les bœufs se sont ébranlés, nous avons vécu un moment pâle et doré, les minuscules gouttes d’eau qui s’agitaient avec la brise ont scintillé, les herbes folles de cette campagne ont été vertes comme jamais, il s’est mis à pleuvoir dru et tout était étincelant, même le gris sombre des nuages ; c’était le commencement d’une autre vie, un augure splendide. Ainsi baignées dans de si lumineuses entrailles, nous sommes parties. Elle a dit « England » et à ce moment-là, pour moi, cette lumière s’est appelée light et c’était l’Angleterre.