Lucien est né en 1910 à Lussas et Nontronneau (Dordogne). Ses parents étant décédés alors qu’il était très jeune, il est élevé par une tante et des grands-parents instituteurs dans différents villages de Dordogne, Montravel, Velines, Saint-Nexans (qui lui inspirera son pseudonyme d’écrivain et de comédien).
Il fait des études d’anglais à Bordeaux, tout en étant « pion », mais est plus attiré par l’écriture et le théâtre.
Nous avons retrouvé l’introduction de ce poème qui nous montre quel genre de jeune homme était Lucien : Lire plus
Lettre d’accompagnement au poème publié par la N.R.F. en 1933
Lucien Saint-Nexans
Étudiant d’anglais,
22 ans.
J’ai lu, il y a quelques temps, l’annonce de votre enquête dans la N.R.F. J’ai alors rassemblé quelques feuilles froissées, exhumées des poches de vieux habits. J’ai recopié ces vers et à tout hasard je vous les envoie, car, si j’ai bien compris, le but de votre enquête est, non pas de découvrir un génie poétique ignoré, mais de constater le sort de la poésie en France de nos jours. J’attends avec intérêt le résultat de cette initiative et je suis curieux de savoir si quelques-uns de mes amis vous enverront leurs poèmes. Leurs poèmes que je n’ai jamais lus mais dont je sais l’existence soigneusement cachée par pudeur ou par sottise. C’est une chose très curieuse que cette dissimulation des seuls sentiments qui pourraient nous faire honneur à nous les jeunes gens qui sommes si sévèrement jugés. J’ai souvent rêvé d’être introduit dans un de ces cénacles si sympathiques qui existaient au siècle dernier et existent peut-être encore à Paris, ou des jeunes gens se réunissaient pour échanger leurs enthousiasmes littéraires.
Je vous envoie ces quelques poèmes. Je n’ai aucune idée de ce qu’ils peuvent valoir. Je ne les ai lus à personne. Parfois, au hasard d’une solitude accidentelle, un élan m’entraîne à griffonner quelques vers sur un sentiment qui m’occupe.
Je ne serai jamais un grand poète. Je n’en ai ni l’espoir, ni, hélas, l’ambition. Et surtout, surtout, je ne parviens pas à trouver ma personnalité. J’aime trop de choses. J’aime tout. Toute la vie, la vie multiple, vivante, brève. J’aime le sport, la lecture, le flirt, l’amitié, j’aime le farniente et le travail. Ce qu’il y a de plus difficile au monde, c’est de choisir. Je ne sais ce que je préfère d’une randonnée en auto avec de joyeux compagnons ou d’une journée passée avec un livre de Giraudoux. Je dis Giraudoux. J’aurais pu dire Proust ou Mauriac ou Balzac. Je me désespère de mon manque de personnalité.
Peut-on vraiment s’appeler un poète lorsqu’on prend tant de plaisir à fréquenter les dancings ? Peut-on oser aimer le Cimetière Marin, lorsque l’on éprouve une réelle joie à voir un film même médiocre ?
Mais je serais parfaitement heureux, sans ces sortes de crises, de plus en plus fréquentes ou je me trouve si désemparé si incomplet. À ces moments je n’aime rien. Rien ne m’émeut, ne me fait envie. Tout me paraît difficile, impossible, tout est flou et lointain, je n’ai plus de désirs. Je suis incomplet même dans mon désespoir. Si je reste seul, mes pensées tombent vite dans un gouffre sans fond ni échos, intolérable. Si je vie la vie quotidienne, présente, minutieuse, j’entends crier un remords. Le remords de gâcher quelque chose, l’humiliation d’être étroit, bas, animal, le remords de détruire stupidement de la beauté. Mais quelle beauté ?
Je ne sais à qui j’envoie ces confidences et cet anonymat seul me décide à les écrire. Elles sont gauches, ce sont les premières.
En 1939, il se marie et abandonne le théâtre pour un métier plus stable : inspecteur d’assurance dans la région Aquitaine.
Mobilisé en 1939, il devient interprète dans un régiment écossais. Drôle de guerre, débâcle, retour à Agen. Sombre période de l’occupation pendant laquelle il écrit beaucoup : poèmes, courtes pièces de théâtre, nouvelles sur la guerre et une ébauche de L’Orage et La Loutre.
En 1946, il envoie le manuscrit à divers éditeurs sans succès.
La réponse de Jean Blanzat que nous reproduisons ici est non seulement savoureuse, mais semble raisonner tout particulièrement avec les raisons qui ont motivé la réédition de ce texte :
Lettre de Jean Blanzat des Editions Grasset pour signifier le refus de son manuscrit à Lucien Ganiayre (19 août 1946)
Éditions Bernard Grasset
Société anonyme au capital de 3.800.000 francs
61 rue des saints-pères-6e
Paris, le 19 Août 1946
Monsieur Lucien Ganiayre
81, rue de Sevin,
Agen (Lot-&-Garonne)
Cher Monsieur,
Je m’excuse d’avoir quelque peu tardé à vous répondre. Je rentre d’un petit voyage, en Limousin, précisément. J’ai fait lire et ensuite j’ai lu votre livre. C’est une œuvre vraiment étrange, d’une originalité authentique et spontanée. Beaucoup de romans aujourd’hui utilisent d’une façon analogue les ressources du fantastique ; mais presque toujours on y sent des influences littéraires : surréalisme, néoromantisme, imitation de Kafka ou de Faulkner. Votre roman au contraire est naturel et direct dans l’étrange et ce n’est pas, dans mon esprit, un mince compliment.
Du point de vue de la maison Grasset, où je suis bien obligé de me placer, je ne peux malheureusement vous dire qu’une seule chose. Nous ne pouvons pas éditer ce livre qui est extrêmement différent de ce que nous publions d’habitude. Il risquerait de déconcerter inutilement un public qui a une certaine exigence de la qualité mais qui n’a jamais été « d’avant-garde ». Pour peu que vous connaissiez notre catalogue, vous conviendrez de la portée de cet argument et vous ne douterez pas de sa sincérité. J’espère bien qu’un jour il nous sera possible d’élargir notre registre ; je sais bien qu’il y a un péril dans une fidélité trop étroite à une tradition, surtout lorsque cette tradition se fonde sur des préoccupations commerciales. Mais alors j’espère que nous créerons une collection d’ouvrages avec des tirages restreints et une présentation particulière qui exclura les malentendus. Si cela se fait un jour et que votre « Maître d’École » ne soit pas casé, je me permettrais de vous le redemander et nous reverrons la question.
Car même du point de vue purement littéraire, il me semble que la question est à revoir. On vous lit avec « un sentiment de gêne et d’agacement » que vous semblez avoir prévu. Si j’essaye de me demander pourquoi voici d’abord ce que je trouve.
La fiction de votre homme foudroyé est à la fois un peu fragile et un peu facile. Fragile parce qu’elle n’explique pas ou trop timidement les divagations de Jean des Bories et facile parce qu’elle donne trop de champ à l’imagination. Je crois que dans le domaine du fantastique, il faut être prisonnier de certaines conventions à partir du quoi il doit y avoir un enchaînement rigoureux (c’est le cas pour Swift aussi bien que pour Kafka). Vous donnez l’impression d’être trop libre dans votre propre domaine. Il arrive à votre personnage trop de choses surprenantes et à tout moment vous restez son maître absolu. Pour un peu on vous reprocherait d’être gratuit et arbitraire. Vous n’encourez pas tout à fait ce reproche parce qu’on sent l’unité de l’inspiration. Elle tient à un sentiment très puissant de la solitude de l’homme, de l’impasse de sa destinée, de sa cruauté, et du secours qu’il trouve dans les choses naturelles. Mais, sans doute cela reste trop caché. Il a d’autre part deux thèmes dans votre livre : celui de la Loutre (accessoirement repris dans l’épisode de Jeanne) et celui de l’amitié. Ils se rejoignent en conclusion dans l’échec, mais ils sont au départ très différents ; d’où un certain manque d’unité de l’ouvrage. Enfin, vous êtes un peu gêné par le thème de l’amitié et vous le commencez dans le domaine de la réalité. Les pages sur les années de collège bonnes en elles-mêmes, et qui ont été préférées par vos autres lecteurs, font tache dans le récit et montrent une hésitation dont vous n’êtes pas tout à fait exempt par la suite.
Enfin et surtout le second terme, le spirituel, n’est pas toujours apparent dans votre allégorie et on se demande parfois ce que vous avez voulu dire.
Je m’excuse, cher Monsieur, de cette longue lettre. J’espère et je souhaite qu’elle ne vous chagrine point. Votre échec ici est de ceux qu’on peut dire sans mensonges plus honorable que la moyenne des réussites. Si je me suis mal expliqué, ou si vous avez besoin d’éclaircissements, croyez-moi, je vous prie, tout à votre service.
Jean Blanzat,
P.S. : Il y a peut-être un peu trop d’adjectifs dans votre style. Comme nous le faisons d’habitude, je vous renvoie vos deux manuscrits par paquet poste recommandé.
C’est l’époque de la Libération, compagnon de route des communistes, il fonde à Agen un Ciné-club où il invite de prestigieux conférenciers.
1947, il perd son emploie suite à la création de la Sécurité Sociale, pour laquelle il avait milité. Quelques années de galère mais il continue à écrire et, dans les années 50, il réalise notamment une adaptation de L’Orage et La Loutre pour la jeunesse. Sans résultat. Il renonce à l’écriture et s’installe en 1953 à Périgueux où il occupe un poste d’agent d’assurances.
Il meurt en février 1966, atteint d’un cancer inopérable.
En 1972, sa femme envoie son manuscrit à plusieurs éditeurs. Réponde positive du Seuil, de Denis Roche. Le livre paraît en 1973.
Le livre semble avoir reçu un bon accueil de la presse. Impossible d’en trouver la trace. Il est pourtant traduit en tchèque par Michaela Jurovskà et paraît aux Éditions Tartan en 1979. Cette édition est précieuse parce qu’elle recense diverses critiques du livre paru dans la presse française, traduit en tchèque, que nous avons très librement retraduits en français.
« Les thèmes de la solitude, de l’amitié et de l’amour, du temps et de la mort sont magnifiquement explorés à travers le récit des angoisses du héros de ce roman, un improbable survivant. » – Revue des livres nouveaux
« L’Orage et La Loutre est un livre rare dans la littérature. Cette œuvre nous parle de la nature d’une manière onirique, et, par endroit, étonnamment frénétique. Un roman magistral dans lequel résonne la symphonie du silence et du sommeil. » – France-Soir
« Il arrive toujours un moment où il devient impossible d’expliquer rationnellement ce qui arrive au narrateur du roman, mais pour peu qu’on s’y essaye, il en ressort que le héros est avant tout marqué au cœur par son pénible pèlerinage. Peu importe qu’il s’agisse d’un rêve ou d’une hallucination, nous ne le saurons jamais, mais nous resterons captifs d’un roman où l’expérience de la survie est inscrite en lettres de feu. » – Horizon du fantastique
« Les magnifiques pages de L’Orage et La Loutre nous plongent dans une histoire qui interroge la solitude du corps et, finalement, le discours lui-même. Le narrateur, comme Robinson Crusoé, abandonné sur une île, prisonnier d’une vie rudimentaire ralentie par le silence et l’inaction, redécouvre progressivement toute la puissance des mots. » – Les nouvelles littéraires
« Jean n’est pas seulement en train de survivre dans un monde où, seul, il est resté en vie, mais il confronte les convulsions d’une nature solidifiée et la rigidité du corps à ce qui dans son passé compte vraiment : l’amour pour son ami d’enfance… Ce livre merveilleusement actuel est plus une parabole qu’une fable morale – Celle de notre inlassable quête de paix. » – Bibliothèque pour tous
En janvier 2014, la compagne du petit fils de Lucien Ganiayre, nous contacte à titre amical dans l’espoir de trouver une solution à moindre frais pour imprimer en quelques exemplaires L’Orage et La Loutre afin de le diffuser dans le cercle familial. En bons Ogres curieux nous demandons à voir le texte avant de la conseiller et quelques jours plus tard la décision était prise de le rééditer.