Cordelia la Guerre
OGRE N°7 – Marie Cosnay
Cordelia la Guerre
jeudi 20 août 2015
Taille : 140 /185 mm – 368p. – 21€
ISBN : 979-10-93606-23-1
Cordelia la guerre s’ouvre sur la découverte, dans une zone frontalière, d’une Cadillac accidentée, à laquelle sont liés de mystérieux rubis et une femme amnésique. Elle entraîne Ziad, Zelda et Durruty dans une enquête policière banale. Parallèlement, dans un temps et un lieu qui semblent similaires, la trame du Roi Lear se met en place et se mêle de plus en plus à l’intrigue initiale sans qu’un lien puisse être, dans un premier temps, établi. La tragédie shakespearienne est ici relue par le prisme d’une intrigue politico-mafieuse où se mêlent migration, trafic et lutte pour le contrôle du territoire.
L’enquête elle-même disparaît, comme emportée par la guerre, ne refaisant surface que de manière intermittente. La guerre sourde, celle de la succession et des territoires que mènent Cordelia, Réjane et Gonéril – les filles de Lear – et Gabrielle – la fille du Grec, qui conduit une armée de déshérités –, masque celle qui hurle au loin opposant le Nord est le Sud.
La géographie mise en place par Marie Cosnay est à la fois familière et étrange, à la fois contemporaine et universelle : une fourche bordée par la mer, les forêts, les promontoires et les architectures urbaines – nous pourrions être à Calais ou à Lampedusa, tant la sensation de frontière est forte. Au milieu de cette ville, un fleuve en crue qui change de couleur à mesure qu’il grossit. Chaque espace est le siège possible d’une révolte, d’une métamorphose. Les personnages qui les habitent sont à la fois acteurs et spectateurs, emportés par la guerre, aux prises avec la mutation géographique et politique de leur environnement, ils se perdent, se raccrochent à l’enquête, aux héros qui émergent et qui dans la poussière des combats semblent leur indiquer un avenir possible.
Cordelia la Guerre est un roman en feu, qui, comme la géographie dans laquelle il se déploie, emporte tout sur son passage. La langue de Marie Cosnay est dense, tendue, tour à tour sèche et hallucinée. Elle déborde le réel, comme en crue, et, dans les failles qu’elle crée, surgissent des mythes anciens, des femmes soldats, des hiboux et des chevelures en feu. Marie Cosnay ne cesse de jouer avec l’envie que nous avons de comprendre les événements, d’atteindre une hypothétique vérité. Cordelia la Guerre est un roman multiple, à la fois épique, policier, contemporain et mythologique.
Cordelia la Guerre est habité par une forme d’urgence, il faut prendre en note, raconter la guerre, l’enquête, ne pas s’attarder, restituer le trouble qui entache tout ce qui se déroule sous nos yeux. Il s’agit de rendre compte, au plus vite, coûte que coûte, et tant pis si les faits ne sont pas toujours précis ou si les motivations de certains personnages restent opaques. On n’a pas le temps, il s’agit d’avancer, de raconter, de survivre. Il nous emmène dans un tourbillon dont le souffle met au jour la matière d’un monde qui s’effondre. C’est en réalité notre contemporain qui se joue sous nos yeux, et Marie Cosnay en révèle toute la densité sociale et politique.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la langue de Marie Cosnay, au-delà de sa beauté, puisqu’à la différence d’autres œuvres épiques, le lecteur n’est pas spectateur, mais quasiment acteur de l’aventure. Le dispositif mis en place dans Cordelia, le fait que les thèmes abordés soient profondément ancrés dans notre réel (flux migratoire, capitalisme) et la richesse poétique de sa langue, donne au lecteur le sentiment de participer à l’intrigue.
Voilà, entre autres, ce que fait la langue, cette langue si étrange par moments. Elle interroge notre position, notre réel et recrée en nous le sentiment de l’urgence politique et du trouble. L’univers se délite, et il est impossible de savoir par quel bout nous pouvons commencer à réparer le monde.
LA PRESSE
« Marie Cosnay raccomode le monde », par Bertrand Leclair, Le Monde des Livres, 26 novembre 2015 : On ne soupçonnait pas Marie Cosnay, auteure d’une œuvre exigeante et reconnue, d’une telle puissance de feu en précipitant les personnages du Roi Lear dans notre quotidien décousu au rythme d’un polar déjanté afin de livrer à son tour la guerre aux paroles fausses et aux aveuglements volontaires avec une joie mordante, une joie de cannibale.
Cordelia la Guerre est de ces livres puissants comme des fleuves en crue, qui viennent noyer les frontières et les repères, charriant tout et même l'invraisemblable pour y faire surgir l'éclat d'une métaphore inédite.
Avec une énergie sidérante, elle fait le lien, rapièce les images entre elles, raccommode la réalité et nous raccommode avec le monde.
Quel est le rapport entre Shakespeare et Pôle emploi ? (…) Le rapport est l'enjeu du livre, évidemment : le rapport au tragique que notre quotidien éthéré prétend gommer, ou comment retrouver le lien entre la poésie qui hante le monde, les intérêts qui le commandent et la misère qui le submerge.Lire plus
EN PARLE
« Cordelia la guerre: la folie Cosnay », par Claro, Le Clavier Cannibal, 31 août 2015 : La phrase, on le voit ou plutôt on l’éprouve, avance en faisant des écarts, elle se contracte puis se dilate, forme comme des bulles (les parenthèses), puis allonge la foulée avant de se contracter à nouveau, jusqu’à devenir quasi tronquée, nominale. Et ce qu’on peut constater au niveau de la phrase est aussi vrai du récit dans ses mouvements aheurtés, ses cadences croisées. C’est moins Le roi Lear qui est ici réécrit que les ressorts de la tragédie : le fameux fatum sans cesse torpillée par l’entêtement humain. (…) Cordelia la guerre est un livre éminemment inquiet – autant par sa bouleversante théâtralité que par son entêtement poétique à sonder et faire résonner tous les motifs. Profondément singulier parce que courageusement pluriel, il risque de rendre risibles et vains nombre des livres qui paraissent en cette rentrée.Lire plus
EXTRAIT
Rue Alsace-Lorraine, devant Carrefour Market. Il est jeune, crie dans le téléphone que là il va péter les plombs si tu lui trouves pas un boulot, qu’il prend le Tercian comme tu lui as dit et que rien toujours rien.
Rien ne peut venir de rien (au téléphone).
Aux deux vieux, Falstaff 1 et Falstaff 2 (pas si vieux), le jeune (joue zébrée de l’oreille à l’œil) : clochard, c’est celui qui tire la cloche dans les églises, vu ? Falstaff 1 et Falstaff 2 rient puis ne rient plus tant le bonhomme jeune et blessé est sérieux, emporté. Acquiescent.
Falstaff 1 : le trouver allongé entre le fleuve et la poste et les flics empêchent qu’on approche, les pompiers lui font la respiration artificielle, une barrière s’est formée, on appuie sur le torse, on appuie et là-bas on empêche, flics et pompiers ; le médecin se penche sur le corps, passe une main devant la bouche, un quart d’heure comme ça à appuyer, empêcher qu’on approche puis le vieux se lève, ventre d’abord, il bâille, regarde le fleuve, remercie du bout des lèvres. Il s’assied sur le banc à l’arrêt du bus.Lire plus